'Nous sommes à présent obligés d'agir sans préjugés, mais pas pour illustrer des mythes usés ou des alibis contemporains. Il nous faut assumer l'entière responsabilité de ce que nous faisons. Et la part de la grandeur résidera dans la profondeur de la connaissance et dans le courage avec lequel nous realiserons notre propre conception' Clifford Still
C'est l'histoire d'une bagarre qui finit par : tout est bien qui finit bien.
Annabelle Hyvrier est une jeune femme délicate et fine, élégante et subtile mais dans son atelier, il faut se boucher les oreilles et se boucher le nez et puis fermer les yeux aussi : ça déménage un maximum. Annabelle s'attaque à la tronçonneuse à des fûts de bois deux fois plus grands qu'elle. Et ça y va dans les circonvolutions de l'instrument et il y a du bruit et il y a de la fureur. Dans un nuage de particules qui grouillent, ça pique partout, les yeux, le nez et les oreilles ont mal. On est tout remué. On est tout remué dehors et dedans aussi. Témoin surpris par une rixe urbaine auquel on ne s'attendait pas. Annabelle attaque le bois et le bois attaque Annabelle. On voudrait intervenir, mais on sait que ça sert à rien. On se met dans un coin, on cherche à se protéger, on a un peu peur. Dans la rue ça finit mal en général mais pas dans l'atelier d'Annabelle. Au moment où la tension est à son comble, on assiste à un moment magique : le geste s'arrête, le bruit s'éteint et le feu de la bataille soudainement est déjà loin. On n'y croit pas, mais oui, oui : vient de naître une sculpture à l'instant précis où un dialogue qui semblait impossible a surgi entre les deux parties. C'est 50/50 : la sculpture apparaît à ce moment fragile où l'intention de l'artiste et la matière s'imposent ensemble en équilibre parfait. Le geste du sculpteur s'arrête et la sculpture est là, juste là, forte. J'ai rencontré son travail lors d'une exposition personnelle en 2005 à la galerie Vertige. Je suis rentrée dans la cité d'Annabelle. Il y avait des scènes ici et là, liées par un fil narratif invisible. Des petites formes rouges, des petites formes organiques s'aimaient en points de rupture dans des structures blanches ou aux abords de celles-ci. C'était comme un spectacle de Pina Baush : une homme et une femme ne peuvent s'aimer, ils se touchent, se rejettent, ils se violentent. Ils se quittent. C'était émouvant, tout en fragilité : Annabelle avait mis en scène un ensemble de déséquilibres. Cette exposition c'était comme le point final d'une période un peu triste, un peu violente dans laquelle Annabelle s'était battue avec son corps, s'était battue avec un amour. Elle ne savait pas encore qu'elle avait gagné. Aujourd'hui, en regardant ses nouvelles pièces dans son atelier, je ne peux que me dire : Annabelle tu gagnes encore et le bois gagne aussi et dans ce combat que tu as décidé de vivre, celui de l'artiste qui cherche et expérimente dans le doute et la joie aussi, je vois de plus en plus converger l'être et la sculpture qui ensemble donnent à voir des formes fortes et émouvantes. Et cela est de plus en plus beau.
Dominique Thirion, 13 septembre 2013
Annabelle Hyvrier, sculpteur plasticienne française, vit et travaille en Belgique.
Les œuvres et installations d’Annabelle nous parlent avec délicatesse et force d’un monde qui n’est pas ce qu’il paraît et où ses sculptures prennent vie peu à peu pour raconter une histoire qui ne laisse personne insensible.
Formée à l’académie des Arts de Bruxelles (Belgique), Annabelle sculpte le bois à la tronçonneuse, taille, et découpe des pièces monumentales qui évoquent avec sensualité et violence, des personnages à la peau déchirée et aux âmes dépecées.
Ses sculptures nous renvoient aux archétypes de notre finitude, à la souffrance et à la peur du néant qui nous unissent dans la même certitude.
Le parcours d’Annabelle ponctué par la création de bois massifs et de pièces en bronze qui évoquent une sensibilité délicate, inspirée et violente, mais aussi un jeu sur le hasard et la chance qui offre des pièces subtiles et sensuelles ou la chair est inépuisable et le destin redoutable.
Les bronzes d’Annabelle sont parfois peints en rouge, comme un bras de fer avec l’univers, la vie et le monde de l’art. Ses bois sont à la fois doux et rugueux, parfois erratiques comme des géants inépuisables qui se battent dans une éternité figée.
En 2005 après bataille victorieuse avec le cancer, Annabelle travaillera aussi à des machines autour de l’organe vital du cœur, ou encore une "machine qui pleure", évocation d’une période hyper-médicalisée.
Jusqu’en 2011 Annabelle se consacre aussi à l’enseignement de la sculpture classique dans son école « la ligne d’horizon ». Elle forme des centaines de sculpteurs dont certains vers des carrières professionnels reconnues en Europe.
Annabelle Hyvrier, French sculptor and visual artist, lives and works in Belgium.
The works and installations of Annabelle speak with delicacy and strength of a world that is not what it seems and where her sculptures come to life gradually to tell a story that leaves no one unmoved.
Trained at the Academy of Arts in Brussels (Belgium), Annabelle carves wood with a chainsaw, sizing and cutting monumental pieces that evoke, with sensuality and violence, characters with torn skins and dismembered souls.
Her sculptures remind us of our finite nature, of the suffering and the fear of emptiness that unite us in the same certainty.
Annabelle's journey in sculpture is punctuated by the creation of massive wood and bronze works that summons up a heightened sensitivity, inspired and violent, and recall the game of luck to produce subtle and sensual works where the flesh is inexhaustible and the fate dreaded.
Annabelle’s bronzes are sometimes painted in red, as a showdown with the universe, life and the world of art. Her wood works are both gentle and rough, sometimes erratic as inexhaustible giants fighting in a frozen eternity.
In 2005 after winning a battle with cancer, Annabelle also works on installations reproducing vital organs such as the heart or a "crying machine" as reminiscences of a hyper-medicalized period of her life.
Until 2011 Annabelle teaches classical sculpture in her academy "la Ligne d’Horizon" where she trains hundreds of sculptors, some of which have already achieved professional recognition in Europe.